Les aquarelles de Maria Constantin, ou plutôt, leur « icone » conceptuelle, s’est installée déjà depuis longtemps dans ce que je nommerais « les tréfonds » de mon musée imaginaire. Celui-là même que je porte en moi en tout moment et n’importe où je me trouve.
Cristian-R. VELESCU
Maria Constantin portrait /Maria Constantin Eze, 1969
Maria Constantin est née Maria Schwefelberg le 21 janvier 1926, à Bucarest, en Roumanie.
Son père , l’avocat Arnold Schwefelberg , personnalité marquante de la communauté juive , s’est fait remarquer , ainsi que son épouse, Betty, pendant la guerre 1939-1945 , en aidant par tous les moyens la population juive locale et surtout les réfugiés des camps de Transnistrie .
Sa sœur, Veronica, allait devenir une des poétesses roumaines des plus connues d’après-guerre, sous le nom de Veronica Porumbacu.
Entre 1932 et 1942, Maria Constantin a, dans le cadre du lycée « Focsaneanu », (ouvert après le renvoi des élèves juifs des écoles d’état) comme professeur de dessin Medi Wechsler (qui allait devenir Medi Wechsler Dinu , grande aquarelliste de Roumanie) , et qui sera par la suite une de ses meilleurs amies .
En 1941, elle commence des cours particuliers de peinture avec Zoe Vermont, dans l’atelier de l’époux de celle-ci, Nicolae Vermont.
Entre 1942 et 1944 elle suit les cours de l’Ecole des arts décoratifs avec les professeurs H .Stern, Gusti et M.H.Maxy , ensuite entre 1946 et 1948 , elle devient étudiante de l’Académie libre « Guguianu » , où elle a comme professeurs M.H.Maxy et Ion Frunzetti.
Parallèlement, suivant les conseils de son père, elle suit les cours de la Faculté de Philologie Moderne. Toutefois elle ne va pas jusqu’à soutenir son mémoire de licence, « Les voyages des écrivains allemands en Italie ».
Elle débute comme artiste graphique en 1945 avec des illustrations et des dessins de presse.
En 1946 elle expose au Salon d’automne à Bucarest.
La même année elle épouse Paul Weissman qui va changer son nom ensuite en Paul Constantin. Architecte de formation, il va exercer comme professeur d’histoire de l’art à l’Institut d’arts plastiques de Bucarest, ayant aussi une activité importante comme critique et historien d’art connu.
En 1948 Maria Constantin devient membre de l’Union des Ecrivains, Artistes et Journalistes.
Dans les années qui suivent, et tout au long de sa vie, jusqu’aux milieu des années 90, elle est présente en permanence à tous les salons « républicains et municipaux», ainsi que dans ceux dédiés à l’aquarelle ou aux illustrations de livres .
En 1951, elle devient membre de l’Union des Artistes Plastiques de Roumanie, association professionnelle où elle mène une importante activité pendant trois ans.
Son père est emprisonné pour « idées sionistes » de 1952 à 1953
Sa fille, Mihaela Constantin, est née en 1954. Apres cette date, Maria Constantin cesse ses fonctions d’encadrement au sein de l‘Union des Artistes Plastiques, se concentrant sur son activité artistique.
Avec le temps, elle adopte presque exclusivement la technique de l’aquarelle, et peint principalement pendant ses voyages en Roumanie avec des amies peintres, ou à l’étranger, et pendant les longues vacances, avec sa famille.
L’année 1977 est une année tragique : sa sœur Veronica Porumbacu et le mari de celle-ci sont morts, le 4 mars, dans le tremblement de terre de Bucarest. Elle ne se remettra jamais complètement de ce drame. Sa mère décède 3 mois plus tard, et son père en 1979.
Maria Constantin a eu une importante activité dans le domaine de l’édition, ayant illustré plus que 40 volumes de poésie, prose et littérature pour enfants. Elle a de même beaucoup travaillé pour des publications théâtrales.
Ses œuvres ont été présentées dans de nombreuses expositions personnelles en Roumanie, et quelques expositions à l’étranger (Grèce, Israël, Allemagne). Elle a, en outre participé à de nombreuses expositions collectives nationales et internationales.
L’émigration de sa fille, fin 1983, qui allait s’établir à Paris, ainsi que le déménagement, en 1995, de sa maison natale, de même que l’aggravation de l’état de santé de son mari, auront été de nouveaux moments douloureux dans sa vie.
En 2000 son mari, Paul Constantin, meurt.
Elle décède à Bucarest, le 17 mai 2012.
Après sa mort, grâce à Luiza Barcan , deux expositions rétrospectives se sont tenues en Roumanie , la dernière étant accompagnée de la publication d’un album signé également par Luiza Barcan.
Bucarest :1953, 1957, 1963, 1967,1969, 1970, 1974, 1975, 1978, 1981, 1986, 1997, 1998 et 2013 exposition rétrospective ; Slobozia 1975 ; Râmnicul Vâlcea exposition rétrospective et donation au Musée d’art 2012
1981 : Athènes (Grèce) et Tel Aviv (Israël)
1986 : Heilbronn et Gundelsheim (Allemagne)
1988 : Feldafing (Allemagne)
Salon Officiel de dessein et gravure (1946 ,1947),Exposition du Groupe « La Flamme »(1948),Exposition Annuelle d’Etat (1948, 1950, 1952, 1952, 1953, 1954, 1959), Exposition de la jeunesse et des étudiants –Festival Mondial de la Jeunesse Bucarest (1953),Exposition inter-régions (1955,1956,1957,1958),Exposition « Dix ans de création plastique » (1957),Exposition annuelle d’arts graphiques (1958,1960,1963,1964,1965,1966,1967,1976),Salon républicain de dessein et gravure (1968,1971,1972,1973,1974),exposition « Présences féminines dans l’art plastique roumaine », Salon municipal d’arts graphiques (1977),Exposition d’aquarelle roumaine (Musée national , 1979),Exposition municipale d’arts graphiques (1980),exposition « Les seniors de la peinture roumaine contemporaine »( 2001,2002,2008),exposition « Après 60 ans »( 2005)
Première exposition d’art roumain après la guerre (Prague et Budapest 1949, Moscou 1950), Biennale de Venise 1954, Exposition des pays socialistes (Moscou ,1958), Exposition de livres à la Foire du livre (Leipzig, 1959), expositions d’arts graphiques roumaines Riga URSS(1960), Vienne(1961), Prague, Cuba, Helsinki, Tokio (1962), Exposition d‘art roumain Cologne (1968),Biennale internationale d’art Mérignac (1971),Exposition d’arts graphiques et aquarelle Cleveland (1971),Exposition itinérante (Rome ,1971 ,Palerme,1972),Exposition d’arts graphiques New York et Boston (1972),exposition « L’Aquarelle roumaine »(Berlin ,1973),Festival international Perth –Australie(1975),Exposition d’art roumain Irak et Pakistan (1975),Exposition d’art roumain-bulgare Sofia (1980) .
« Poésie du travail et de la liberté »-anthologie, Editions CGM (1946)
« Les aventures d’un écolier américain » de Th. Bailey Aldrich, Editions Univers (1946)
« Les garnements de la ruelle St Paul » Editions Univers (1947)
« Le voïévode de la justice » de Victor Eftimiu, ESPLA (1947)
« Les rêves de Baba Dochia » de Veronica Porumbacu, Edition Forum (1948)
« L’Aube des esclaves » d’Em. Galan, ESPLA (1950)
« Quelque part en Sibérie » d’Irina Irochicova, Editions de la Jeunesse (1951)
« Confessions » de Veronica Porumbacu , ESPLA (1951)
« Le cirque dans la forêt »de Ana Tudoras , Editions de la Jeunesse (1952)
« La fille des eaux » de Veronica Porumbacu, Editions de la Jeunesse (1954)
« Poèmes » de Mihai Eminescu, Editions de la Jeunesse (1955)
« L’écolière de la forêt » de Cicerone Theodorescu, Editions de la Jeunesse (1955)
« Ilinca part à la campagne » de Veronica Porumbacu ,Editions de la Jeunesse (1955)
« Une visite inattendue »de Serban Nedelcu , Editions de la Jeunesse (1956)
« Bonjour »de Maria Constantin, Editions de la Jeunesse (1957)
« Quelle odeur ont les métiers » de Gianni Rodari , Editions de la Jeunesse (1957)
« La piqure »de Mihai Stoian, Editions de la Jeunesse (1958)
« Les matins simples », de Veronica Porumbacu,ESPLA,(1959)
« De notre monde » de Veronica Porumbacu , Editions de la Jeunesse (1960)
« A travers la ville aux merveilles »Maria Banus , Editions de la Jeunesse (1961)
« Les aventures du la petite chienne Laika » de Teresa Noce Estella, Editions de la Jeunesse (1962)
« L’histoire du sapin »de Cezar Dragoi, Editions de la Jeunesse (1963)
« Longue est la route du Danube ! » de Veronica Porumbacu , Editions de la Jeunesse (1964)
« Nouvelles et récits »de Guy de Maupassant, Editions Didactiques (1966)
« Le bouleau » de Irina Vorbiova , Editions de la Jeunesse (1967)
« Histriana »de Veronica Porumbacu, Editions de la Jeunesse (1968)
« Fenêtres ouvertes » de Veronica Porumbacu, Editions Ion Creanga (1970)
« La petite grenouille mécontente » de Veronica Porumbacu , , Editions Ion Creanga (1972)
« Le cercle et Anamaria » de Veronica Porumbacu, , Editions Ion Creanga (1976)
« Se revoir » de Mihai Eminescu, Editions Ion Creanga (1977)
« Les choses du matin » de Ion Caraion, , Editions Ion Creanga (1978)
« De l’escargot du belvédère »de Aurora Contescu , , Editions Ion Creanga (1980)
« Livre pour la fille Gu , une fillette comme toi » de Daniela Crasnaru (1982)
« Chanson pour le petit lapin » de Traian Oancea (1984)
« Parlons des couleurs » de Paul Constantin (1986)
« Deux fleurs, deux sœurs » de Alexandru Andritoiu (1988)
« Nuits claires pour toi » de Carmen Firan (1988)
« Le petit chien boiteux »d’Elena Farago (1989)
« Histoire d’un jour » de Mara Nicoara (198)
Entre 1969 et 1972 elle réalise la présentation graphique des Cahiers du Théâtre National
«Répertoire des Arts Graphiques Roumains du XXème siècle »,vol.I ,Editions du Musée d’Art de Roumanie
« Dictionnaire des artistes roumains contemporains »d’Octavian Barbosa, Editions Meridiane
« Graphistes roumains contemporains », Editions U. A. P .(1983)
« L’Aquarelle contemporaine roumaine » de Valentin Ciuca , Editions Meridiane (1988)
L’Album « Medi Wechsler Dinu » de Luiza Barcan ,Editions Ars Docendi (2009)
L’Album « Maria Constantin » » de Luiza Barcan ,Editions Ars Docendi (2013)
Petru Comarnescu, „Informaţia Bucureştiului”, avril 1957
Maxim Cosma, „Contemporanul”, 12 avril 1957
Lothar Lang, „Die Weltbuhne”, R.D.G., 16 septembre 1959
Horia Horşia, „Informaţia Bucureştiului”, 28 fevrier 1963
Marina Vanci, „Contemporanul”, mars 1963
Marin Mihalache, „România liberă”, 14 mars 1963
Dumitru Dancu, „Steaua”, nr. 4/1963
Olimpia Tiberiu, „Revue Roumaine”, nr. 3/1963
Horia Horşia, „Arta plastică”, nr. 4/1963
S. Pop (S. Dancu), „L’Art dans la RPR”, nr. 25/1963
Nicolae Dragoş, „Scânteia Tineretului”, 19 juin 1966
Radu Ionescu, „Viaţa Românească”, nr. 9/1967
Radu Rupea, „Săptămâna culturală”, 17-23 juin 1967
Sanda Faur, „Flacăra”, 29 juillet 1967
Cristina Anastasiu, „Luceafărul”, aout 1967
Petru Comarnescu, „România liberă”, 4 aout 1967
C.R. Constantinescu, „Contemporanul”, aout 1967
Olga Buşneag, „Revue Roumaine”, nr. 1/1968
Petru Comarnescu, „Informaţia Bucureştiului”, 19 mars 1969
Anca Arghir, „România Literară”, 20 mars 1969
Yvonne Hasan, „Viaţa Românească”, nr. 4/1969
Gheorghe V ida, „Contemporanul”, 15 janvier 1971
Ruxandra Garofeanu, „România literară”, 14 janvier 1971
Smaranda Jelescu, „Steagul Roşu”, 12 janvier 1971
Mircea Deac, „Informaţia Bucureştiului”, janvier 1971
Nic. Argintescu Amza, „România Liberă”, 15 janvier 1971
Radu Ionescu, „Viaţa Românească”, nr. 2/1971
Nagy Pal, „Uj Elet”, Târgu Mureş, 1971
„Neues Deutschland”, R.D.G., 8 mars 1973
Florica Postolache, „Tomis”, Constanţa, 10 noivembre 1973
Maria Banuş, „România Liberă”, 5 decembre 1974
Virgil Mocanu, „România Literară”, 5 decembre 1974
Marina Preutu, „Scânteia”, 6 decembre 1974
Vladimir Udrescu, „Informaţia Bucureştiului”, 7 decembre 1974
„Tribuna României”, 15 decembre 1974
„Albina”, nr. 26/28 decembre 1974
Gheorghe Cozorici, „Cahier Program du Théâte Naţional”, nr. 24/1974
Claus Stephani, „Neue Literatur”, 26 janvier 1975
Virgil Mocanu, „Revue Roumaine”, nr. 3/1975
Olga Buşneag, „Cronica”, 21 mars 1975
Raoul Şorban, „Tribuna Ialomiţei”, 11 octobre 1975
Virgil Mocanu, „România Literară”, 25 mai 1978
Iuliana Dancu Fabriţius, „Neuer Weg”, 3 juin 1978
V. Popescu, „Viaţa Studenţească”,juin 1978
Grigore Arbore, „Luceafărul”, 12 juin 1978
Dan Grigorescu, „România Liberă”, avril 1981
Collections particulières et d’Etat en Roumanie (Musée National d’Art, Musée d’Art de Piatra Neamt, Musée d’Art de Constantza, Musée d’Art de Tulcea, Musée d’Art de Brasov, Musée d’Art de Râmnicul Vâlcea),Grèce, Bulgarie, Allemagne, France, Israël, USA, Australie.
Second Prix de l’exposition « La jeunesse sur les chantiers »(1948-1949)Médaille d’argent du Festival
International de la Jeunesse, (1953)
Médaille du Travail (1953)
L’Ordre du Mérite culturel Vème classe (1968)
Prix de l’UTC pour les illustrations du livre « Chanson pour le petit lapin » de Traian Oancea
Autant du point de vue qualitatif que quantitatif les œuvres qu’elle nous a laissé dévoilent une vocation artistique profonde, un talent remarquable et une sensibilité, doublée d’intelligence et de réelle culture. - Luiza Barcan
Mihaela et Maria Constantin, Sulina 1980
L’Aquarelle et le pastel sont plus proches de la peinture que des arts graphiques proprement dits , qui utilisent principalement le dessein et les harmonies en noir et blanc, et c’est pour cette raison que Maria Constantin est pour nous en premier lieu un peintre des couleurs à l’eau et du tempera, même si elle expose aussi des desseins à la plume ou des images ou le dessein est prépondérant.
L’artiste (…) cherche justement les valeurs picturales dans ses aquarelles souvent vaporeuses, dans ses œuvres à la tempera et celles aux encres de couleur. Les paysages ont le mouvement de la lumière, la transparence de la couleur, l’atmosphère suggestive des saisons et des différentes heures de la journée et, par moment, elle réussit à communiquer la fraicheur de l’air après la pluie, la vibration du paysage sous les vents d’automne, le changement du ciel au passage du jour à la nuit.
Maria Constantin voyage ou, plutôt se balade, ce qui est plus profitable et, avec la simplicité avec laquelle elle oblige ainsi le paysage à défiler devant ses yeux, elle le fixe sur papier. Son effort ne consiste pas dans cet acte de retransmission d’une image, acte de pleine spontanéité, mais dans le choix des lieux pour les brefs arrêts qu’elle s’accorde. Dans la main de cette artiste l’aquarelle est un jeu, investi de toutes les qualités que le jeu possède quand il est pratiqué par des enfants, et non par des adultes : simplicité, cursivité, fantaisie greffée sur la réalité, réalité altérée par la poésie, en un mot, la beauté.
C’est cela que je croyais être la caractéristique des œuvres de Maria Constantin : la beauté simple, propre, tonique. Ses aquarelles ne soumettent pas à la résolution de chacun aucune des grandes questions qui tourmentent l’humanité, n’investiguent pas des univers inconnus encore mais, par leur harmonie, par la totale accessibilité avec laquelle elles sourient dans le cadre, créent le climat nécessaire de silence contemplatif, générateur de réponses et de questions. (…)
En adaptant son moyen d’expression au motif, Maria Constantin se trouve à l’aise autant devant des aspects de grande vigueur, de frémissement de la nature, dans lesquels les lignes puissamment accentuées sont équilibrées par les couleurs intenses-éclatantes, que devant des paysages qui apparaissent sous la forme d’accents du pinceau ,en dégradés de tons, qui, par la simplification et l’élégance, rappellent de près les préférences des artistes extrême-orientaux.
L’aquarelle, comme genre d’expression artistique, ne se définit pas par les affinités d’une certaine époque avec un groupe d’artistes, et n’est encore moins tributaire d’aucune mode. Elle marque plutôt un certain type de personnalité et de sensibilité créatrice, une personnalité orientée vers la poétisation et la délicate suggestion chromatique, attentive au rythme ineffable de la lumière, de l’atmosphère, et se traduit par une notation spontanée dans laquelle l’émotion artistique garde quelque chose du modèle naturel qui l’a suggéré. Nous pouvons circonscrire, Maria Constantin, aujourd’hui à sa quatrième exposition, à ce type artistique. L’exposition dans laquelle prédomine visiblement le paysage (aussi varié qu’un journal de voyage) se refuse totalement à une idéologie compliquée (comme elle refuse aussi la casuistique technique) en faveur de la révélation de la sensation, du sentiment pur, qui vibrent dans ses œuvres parfois avec des authentiques délicatesses et timidités spirituelles, parfois avec de la frustration et des décisions vaguement pédagogiques.
(…)Nous ne devons pas oublier que l’impression de spontanéité que l’aquarelle donne (celle –là même qui donne de la valeur aux créations récemment exposées de Maria Constantin, une de nos plus appréciées aquarellistes) est la conséquence d’un long exercice, et non d’un exercice de l’œil et de la main mais d’un exercice spirituel, dans lequel se retrouve entrainée l’entière structure psychique de l’artiste. Je vais me permettre de mentionner un exercice pratiqué par les adeptes de la doctrine Zen, non pas par ce que je souhaite être à la mode, mais par ce que tout simplement il me semble expliquer en quelque sorte ce que je souhaite dire.
Il s’agit de cet exercice de l’archer qui apprend pendant des années à bander l’arc, en visant une cible qui lui semble exister à l’extérieur, jusqu’à ce que, en s’oubliant, en oubliant aussi ce que précisément constitué la cible, en se concentrant sur le tir à l’arc, arrive à se confondre avec la cible et se toucher lui-même. Dans ce cas-comme le dit un penseur japonais – « celui qui tire et celui qui reçoit ne sont plus deux entités opposées, mais une seule réalité ». De tels exercices expliquent la grande expressivité de beaucoup d’œuvres extrême-orientales et même européennes contemporaines.
Je me permettrais de dire qu’un tel exercice est pratiqué pendant des dizaines d’années par le vrai aquarelliste, se concentrant sur une cible qui, initialement, lui a été suggérée par la nature, c’est à dire de sa propre présence dans le cadre de la nature. Il se concentre pour réaliser justement les signaux définitoires de cette expérience, des signes qui –par la touche du pinceau-sont en même temps des traits graphiques et taches de couleur. Il se concentre pour arriver à la communication de cette vision synthétique, qui dévoile les strates profondes du réel, et aussi de l’expérience humaine.
Je me suis permis de faire ces quelques observations sur la technique de l’aquarelliste et, notamment, du bon aquarelliste (catégorie dont fait partie, sans aucun doute, Maria Constantin) pour, au-delà de la sensation de spontanéité que ses aquarelles apportent, signaler sa capacité à synthétiser ce que son expérience artistique représente,-surtout la manière avec laquelle Maria Constantin a vu le fruit de cet effort de longue concentration spirituelle. Ses aquarelles sont réalisées, bien sûr, grâce à un certain exercice technique, mais qui a à la base la concentration intérieure pour atteindre l’expression synthétique.
Le charme certain que les œuvres de Maria Constantin dégagent est dû justement à cette capacité.
S’il existait une fronde de la modestie contre l’audace, une fronde de la constance contre « les mutations », alors les aquarelles de Maria Constantin ont leur place dans son armée.
Depuis presque vingt années, ses œuvres construisent un pont de calme entêtant au-dessus des avatars de la peinture lyrique : une œuvre sans biographie, car « les peuples heureux n’ont pas d’histoire »
Toute leur raison d’être réside dans la lente communication d’un sentiment de fluidité de la vie, douce dégringolade des heures à partir de l’azur du matin vers le violet du crépuscule.
Pastel traditionnel mais partagé par l’authenticité d’un positivisme humoral : les choses sont telles que nous les voyons, nous n’avons pas de raison de soupçonner sous les apparences des sens qui cherchent leur forme. La non-curiosité pour l’aventure du langage protège cette confiance calme dans la fécondité esthétique de la nature. La loi de ce genre c’est le descriptivisme, la perception de la sonorité chromatique des lieux, l’accentuation des motifs de l’émotion.
Dans l’exposition de la Galerie Simeza Maria Constantin reste avec persévérance sur le territoire de l’aquarelle qui se définit par l’agréable et par la spontanéité. Sur un fond blanc, intensifié par les fluidités colorées, défilent graduellement les suggestions de paysage affectif.
Les irisations chromatiques parcourent l’espace ainsi composé, en se propageant d’une manière diffuse, récréant une atmosphère délicate, poétique. Ils ne manquent non plus les moments de maîtrise lucide du détail technique, dans un effort qui organise l’image, distribuant des accents d’une vibration aigue.
(…)Si chez Arnold, nous avons eu un repère de qualité, celui, essentiel, de sensibilité, nous ne l’avons que dans l’artiste elle-même. Spontanée, discrète, concevant le tableau comme une histoire contée quelques fois avec le souffle coupé de peur que le souvenir se déchire (les paysages de France, Italie ou Bulgarie), Maria Constantin croit dans la beauté que nous pouvons rencontrer partout. Devant ses œuvres nous n’avons ni le choc des angles forcés, ni celui de la nature restructurée au bénéfice de l’inédit. Par leur simplicité ces aquarelles réveillent chez nous des anciens souvenirs ou le regret des lieux que, en réalité, nous n’avons peut-être pas encore connus.
Contrairement à d’autres artistes qui suggèrent seulement des lieux et des personnes, nous laissant la tâche de les reconstruire, Maria Constantin, fidèle aux impressions recueillies, décrit, nous laissant errer dans l’aire investiguée ; le simple choix est chez elle un acte de création. L’angle de vue qu’elle a eu sur un coin de campagne peut devenir, par son impression sur notre rétine, élément de référence. Le succès est d’autant plus grand, plus durable, que la chaleur artistique, l’élan qui mène à peindre, ont été entretenus et façonnés par un long et honnête exercice. (…)Je ne sais comment elle pourrait remplacer les brillances des pétales humides et des tons assourdis, profonds et veloutés de violoncelle. Ce sont des recherches qui ont toujours un avantage : ou elles ouvrent un nouveau chemin ou elles confirment la valeur de celui utilisé jusqu’au présent. Je ne sais pas quel pourrait être le nouveau chemin, mais le présent est écrit par le soleil et la lumière, la couleur, la simplicité et de tout cœur.
Après la rétrospective Arnold -tout à fait exceptionnelle, au niveau européen- le genre de l‘aquarelle souvent ingrat et mineur, est représenté de nouveau, récemment, par Maria Constantin, qui le cultive avec persévérance (…)
En assimilant dans sa vision et dans sa technique l’essence des « intentions » les plus valables, on dirait même « des postulats »de la suavité de l’image de l’aquarelle, Maria Constantin garde une jeunesse de rétine qui réussit à éviter le conventionnel , dans les œuvres réellement et récemment perçues .Des modulations, du velouté , souvent des musicalités sont obtenus par un mélange de lucidité alerte et d’idéalisation juvénile. Si le « poétique » est souvent insuffisamment intériorisé, on ne tombe jamais dans un sentimentalisme mièvre.
Dans l’art il y a une seule chose qui compte-c‘est que tu ne peux pas l’expliquer. Qu’expliquer dans l’art de M.C. ?Voici ses tableaux ! Nous savons tous, elle a du talent.
Brancusi.
L’artiste qui ne rencontre plus aucune résistance cela veut dire qu’il a atteint la perfection. Mais il s’agit seulement de la perfection technique. M.C. est parfois en proie à l’inquiétude devant sa peinture. Cela veut dire qu’elle rencontre cette résistance intérieure. Et cela est bien.
Le progrès dans l’art ne consiste pas dans l’extension de ses limites, mais dans leur meilleure connaissance. M.C. c’est là qu’elle (se) réalise. L’exposition d’aujourd’hui témoigne de cette connaissance de son art. (…)
Quand j’ai reçu son invitation je lui ai demandé ce qu’elle expose, ensuite qui va parler .M.C, notre talentueuse aquarelliste, m’a souri en me disant : « c’est toi qui va dire quelques mots. Tu as été chroniqueur d’art. »
Cela m’a fait réfléchir ; oui, je l’ai été. J’ai fait de de la chronique litt(éraire),ciném(atographique),théâtrale, journalistique, mais aucune comme préoccupation de base. Autant de violons d’Ingres. Mais peut- être ai-je été le plus lié aux arts plastiques. J’ai épousé une femme peintre (Medi Wechsler Dinu).Depuis presque 30 ans elle pouvait me faire une rétrospective. Je vais donc faire une préface parlée à un vernissage, comme on coupe le ruban à la construction d’un nouveau pont qui est aussi une œuvre d’art. Que dire ? Je n’ai pas l’aisance de Schilleru .
(…)Depuis plus de deux décennies, Maria Constantin nous a habitués à suivre le chemin ascendant et discret qu’elle a parcouru avec une admirable persévérance dans la technique de l’aquarelle.
Trompeuse et fluide Ondine, la fée de l’aquarelle qui enrobe le monde d’un réseau de lumière tremblotante est diaboliquement exigeante.
Les paysages- venus de tous les coins paradisiaques du pays-semblent un trille de larmes, jaillies spontanément de la gorge d’un oiseau enchanté. Mais le velours de la larme est obtenu après de longues et difficiles recherches. A travers des artistes comme le regretté W.Arnold ou Maria Constantin, l’aquarelle roumaine atteint les hauts plateaux de cette technique subtile, si rigoureuse derrière ses évanescences faussement faciles.
L’entier cycle « L’été »est un poème panthéiste .Maria Constantin a un culte pour l’explosion végétale, pour les vacillants pilastres de la nature. Son exposition à Simeza (aquarelle) relève une sensibilité lyrique, une sensualité de la nature. Le solaire, le pouvoir germinatif et accaparateur du paysage rustique, parfois marin ou fluvial, confèrent ce timbre particulier aux aquarelles. , A travers elle, coule, presque secrètement, une musique fluide. La rêverie d’une « Forêt », le chuchotement d’un « Crépuscule », un « Avant la nuit » majestueux, la frémissante superbe « Des chênes », un chemin secret « Vers le château », des féeriques pas perdus dans « Le verger », un soupçon de battement d’ailes à l’horizon d’un « Ilot »- voici des suggestions qui révèlent émotions et plasticité. Des couleurs et des touches qui appellent en mémoire des élans romantiques, mais aussi une ombre de nostalgie, une intuition du proche crépuscule germinatif. La saison vit, dans cette suite, en accord avec sa vitalité débordante et nécessaire, mais aussi avec l’ineffable approche de l’extinction en minéral. Un lyrisme phréatique circule avec générosité à travers les vaisseaux capillaires de la couleur. La surprise de la découverte d’un pinceau aussi personnel ici, dans l’aquarelle, est complété avec celle offerte par la révélation des desseins groupés dans le cycle « Mains » -une propension vers le fantastique et une esquisse grotesque, intuition subtile de physionomies et sentiments uniques, Maria Constantin – une confirmation d’un réel et vérifié talent, mais aussi une révélation.
(…) L’œuvre de Maria Constantin n’est pas constitué d’un catalogue de souvenirs : elle est l’expression directe et émouvante d’un vécu d’authentique et absolue poésie, réalisée avec la force d’un passionné créateur d’images.
Le peintre commente en silence et avec attention le spectacle de la nature et de la vie. Et sa poétique est ancrée dans le sentiment et dans la sympathie des rapports humains. Chaque image nous montre non seulement une part de la réalité, mais aussi un point de vue concernant la signification de ces forces et circonstances humaines qui obligent l’artiste à agir.
Le réalisme lyrique des paysages du Delta ou de Maramures, réalisés par Maria Constantin (…), mets en évidence une artiste passionnée par le spectacle du visible, préoccupée de nous transmettre l’entière intensité du choc qu’elle a eu en regardant la nature avec des yeux non-pervertis, purs. D’où l’option pour l’aquarelle (quelques fois à travers des variantes libres, à la prima, d’autres fois, des phases plus élaborées, en atelier), la seule capables de fixer l’émotion de la rencontre avec la nature dans toute son authenticité et sa fraicheur, seule technique capable de communiquer la directivité de l’impression, la délicatesse et l’imprécision du moment. Car seule l’aquarelle lui permet de fixer rapidement la fluidité d’éléments préférentiels –l’eau et l’air-, elle seule lui donne la possibilité de nous transmettre la transparence d’un ciel clair en été, ou l’opacité brumeuse des nuages agglutinés au-dessus du Danube. Non seulement les sensations visuelles mais aussi les plus tenues sensations tactiles, olfactives, thermiques, (comme cette fraicheur d’un exceptionnel paysage aux meules de foin de Maramures) ne sont communiquées avec un rare instinct du lieu, de la saison, de l’heure, du moment.
Maria Constantin veut surprendre dans ces paysages ces impressions non encore complétement cristallisées sur la rétine, ces moments et images qui se concrétisent à certains heures de la journée, quand les formes sont fluides et quand la lumière les transperce en permettant au regard de parcourir des espaces translucides, des horizons diaphanes. Le sentiment dégagé par les œuvres de l’artiste est celui de la relativité de l’instant, du flux continu. La mobilité des formes, devenue presque une masse de couleurs fluentes, accentue une certaine sensation d’instabilité de l’existence des facteurs physiques : les arbres ont tendance à se confondre avec le ciel, entre l’eau et la terre il n’y a qu’une différence de nuance de couleur, car les deux éléments sous le pinceau de l’artiste semblent illustrer un état de la matière commune, où les molécules se dilatent en laissant circuler à travers les espaces qui les séparent le regard et la lumière calme des matins ou des midis d’été (…) Ses aquarelles sont l’émanation d’un esprit délicat et équilibré, disposé à tempérer et à filtrer ses réactions, à chercher à voir au-delà des formes qui s’imposent avec prégnance au regard, un univers cohérent avec son mouvement, un univers qui aurait presque une vie intérieure indépendante, que l’artiste a, et essaie de communiquer…
L’artiste est spécialement constante dans sa capacité de garder sa propre vision ; elle ne s’est pas laissé égarer de son chemin par aucune mode, par aucun des courants éphémères, qui, au cours des années, se sont emparés d’une manière « épidémique », presque sans exception, de tous nos peintres. Cela est la preuve de l’inconditionnelle probité artistique, de la sincérité de l’expression qui découle d’un sentiment profond, et qui ne se disperse pas dans l’affectation de l’ingéniosité et du jeu superficiel des formes. Les aquarelles de Maria Constantin ne sont pas peintes selon une formule découverte une fois pour toutes. Les œuvres de jeunesse prédisent déjà la virtuosité d’aujourd’hui, mais sont encore enchainées au récit, par la description épique du détail, tandis que les cadres des paysages d’aujourd’hui choisissent seulement l’essentiel, devenant plus souples, plus fondus, plus définitifs dans leur témoignage. Nous pouvons facilement lire son chemin vers la perfection en parcourant les œuvres des années passées qui sont exposées ; le détail a été sacrifié à l’impression de l’ensemble, qui se concentre sur immatérialité de la vision, sur la lumière, l’atmosphère de la saison et de l’heure, sur le moment dramatique(…) en laissent tout de même la possibilité de reconnaitre la spécificité du paysage, contenue comme un noyau essentiel.
Ce n’est pas le pittoresque du motif qui attire le peintre - mais l’atmosphère lyrique. Ses aquarelles sont des poésies peintes. Maria Constantin maîtrise l’art difficile de construire un tableau sans accents, par demi-tons finement accordés, presque identiques comme valeur. Le sensationnel n’existe pas - la réalité simple est reconnue dans sa beauté cachée et se dévoile au spectateur qui s’y repose avec reconnaissance. La couleur joue d’une manière mélodieuse dans ces tableaux, elle irradie une force régénératrice, qui peut élever quiconque - comme les arbres après la pluie.
L’enregistrement lisible et fluide de la réalité est fait avec un sens certain des dosages ineffables, l’intensité totale alterne avec la dilution apportée au point de la suggestion, les coups de pinceau affirment d’une manière tranchante la concrétion des plans ou, au contraire, dissout les limites des objets dans l’atmosphère accaparatrice. Ainsi, entre la suggestion de la poésie spatiale et l’enregistrement des dates cognoscibles, entre le paysage localisable et l’endroit idéal, élégiaque anobli par la couleur et la lumière diffuse, l’artiste délimite son univers propre, qui nous est accessible surtout par des subtils effluves affectifs(…) Ainsi, Maria Constantin reste une subtile observatrice et créatrice d’images, perpétuant la tradition d’un genre qui a toujours trouvé chez nous des interprètes réellement doués et de valeur.
(…)Maria Constantin(…) est une des plus importantes représentantes d’un genre par excellence poétique : l’aquarelle. L’enregistrement direct du paysage, des impressions de l’artiste, l’impossibilité des repentirs et des reprises(…), qui imposent la précision, la décision, dès le début, de l’équilibre du détail, dans un ensemble réfléchi. L’apparente spontanéité, si souvent invoquée au sujet de l’aquarelle, signifie- en fait – une pensée strictement organisée avant même de poser le premier trait de couleur sur le papier.
Les plus importantes pérégrinations de Maria Constantin sont celles qu’elle a faites à pied, dans son enfance et pendant ses années d’adulte, surtout en été et à l’automne, en traversant des forêts et des eaux, poussée par le souhait de connaître le Danube, les villages de pêcheurs du Delta, la Mer Noire…La richesse de la matière est une tentation dangereuse pour l’artiste et un réel travail sur soi-même est nécessaire pour la maîtriser et la transfigurer dans l’art(…) Dans cette optique, les paysages sauvages ou façonnés par l’homme de Maria Constantin, traités dans des tons assourdis, d’une recherche raffinée, bruns, cendrés, bleus, sont des victoires exceptionnelles de simplicité et de fraicheur. Cette réussite n’est pas due à quelque procédé facile, à quelque éclat des couleurs, mais elle est due à une intelligence picturale capable de « voir » la poésie dans la lumière qui caresse des murs, des marches, des vieux volets. Les bourgs vus des ponts, au loin, blanchâtres, laissent l’impression d’un infini, qui ne vient pas de la subjectivité de l’artiste ; elle ne la proclame nulle part, mais en suivant ses lignes, ses surfaces, on ressent le sentiment du mystère de la nature, toujours sans défaut, toujours changeante. Et il semble que Maria Constantin sait capter en sa faveur cette fertile « dialectique » de l’univers, en découvrant sa densité et sa délicatesse. Maria Constantin a vécu – tant de fois !- les déchirements de l’éclair et les chutes dans les ténèbres et, tout de même, ce qu’elle veut faire don à ses semblables par sa peinture est un bonheur maîtrisé de vivre, qui s’avère être impérissable. Un bonheur qui part d’un sens du tragique non affiché, mais présent dans la vie souterraine, dans la volonté tendue de dominer ses souffrances, inquiétudes, révoltes. Tout de même cette intellectualité de sa peinture ne domine pas son pouvoir de rêverie, de l’étonnement, la candeur de continuer à raconter en aquarelle sur la communication entre l’eau, l’air, les arbres, la terre (…) Il ressort de la symétrie longuement réfléchie de l’alliance de chaque tonalité – de la délicatesse du pastel aux couleurs « fortes », pâteuses – un silence intérieur de l’âme apaisée après le tourment. Bien sûr que le monde des toiles de Maria Constantin est, finalement, réductible à ce qu’elle découvre en elle-même, en des moments de pulsation émotionnelle intense et capacité maxime de créer des contours. Mais ce qui convainc chez Maria Constantin c’est le conceptualisme, l’introspection lucide, la sensation d’un « journal » dans lequel les images-rêves brumeuses ou étonnamment claires prennent la place des paroles.
En aquarelle j’ai eu un seul chemin : le contact direct avec la nature et avec le monde qui nous entoure. J’ai voulu écouter mon propre son, en évitant les modes changeantes, synthétisant, simplifiant, purifiant l’émotion, au-delà de l’observation de la réalité. - Maria Constantin
Maria Constantin et Veronica Porumbacu / Eva Cerbu, Alma Redlinger et Maria Constantin, 1962 / Maria Constantin et Stefan Sevastre au paysage
Les aquarelles de Maria Constantin, ou plutôt, leur « icone » conceptuelle, s’est installée déjà depuis longtemps dans ce que je nommerais « les tréfonds » de mon musée imaginaire. Celui-là même que je porte en moi en tout moment et n’importe où je me trouve.
Récemment, pendant une courte mais substantielle visite, j’ai eu l’occasion de revoir , en vrai, une sélection des œuvres de l’aquarelliste .J’ai eu l’agréable surprise –équivalente à un bonheur spirituel- de constater que , entre les images cachées dans le « musée imaginaire » cité et les aquarelles que je voyais , il n’y avait pas la moindre contradiction ou fissure, autant matérielle, technique ou spirituelle, ce qui signifie que, tout au long d’une carrière artistique longue et égale à elle-même, l’artiste a réussi à cristalliser une réalité que l’analyste de l’image nommerait généralement style.
La collection dont je parlais- imaginaire, à la suite de laquelle, s’organisent sagement et naturellement, les images de la sélection réelle, récemment observée – est indubitablement « sous le sceau » de la réalité du style, un style éminemment personnel, celui de l’artiste elle-même. Paradoxalement, mais peut être que justement pour cette raison- celle de la personnalité du créateur qui ressort à travers l’œuvre –le style de Maria Constantin apparait comme atemporel, comme d’ailleurs cela convient à la notion ou concept de style. Ainsi les images -au tréfonds desquelles le sceau stylistique s’est approfondi et abrité –échappent discrètement, mais volontairement, au concept plus frivole de « mode », strictement déterminé par la transition temporelle et le facteur conjoncturel.
Que les choses se présentent comme ça dans les créations de Maria Constantin ressort à la simple confrontation des anciennes images – par exemple celles qui datent des années ’60 du siècle passé – avec celles élaborées récemment, dans la dernière partie de sa vie.
En ce qui concerne Maria Constantin, ce dernier segment de sa biographie s’est avéré être extrêmement fertile du point de vue de la production artistique, peut être aussi grâce aux voyages relativement fréquents qui ont pu stimuler et intensifier une réalité que l’artiste nomme « monde intérieur », et le critique « ressource de l’imaginaire » ou tout simplement « imaginaire ».
Les voyages ont été favorisés par Mihaela, la fille de l’artiste, une bonne et très chère collègue et amie, grâce à qui j’ai pu connaitre de plus près la création de l’aquarelliste. En ma qualité d’historien d’art, je me dois d’approfondir les ressorts de cette valeureuse et plutôt inhabituelle atemporalité stylistique. Une réponse possible serait la parfaite superposition de l’esprit de l’artiste avec « l’âme »du modèle qu’elle a choisi, paysages, nature mortes, intérieurs, qu’elle n’a pas peint par hasard, mais sous la pression d’une authentique empathie, constamment et avec prédilection.
Une autre réponse pourrait être offerte par la technique et la virtuosité de l’artiste, qui n’ont pas non plus souffert de mutations majeures au cours d’une relativement longue carrière, signe que le motifs pictural a été soumis à la technique et non l’inverse .Tout de même , en examinant attentivement ses aquarelles, on constate que, en dépit d’une vision réaliste que Maria Constantin a choisie, le pinceau ne suit pas toujours la forme pour la « décrire » ,mais semble vagabonder de ci de là, guidé seulement par l’âme, par la vision et par la volonté de l’artiste. Pour celui qui sait regarder attentivement ses aquarelles, les bonheurs de la découverte ne se font pas attendre. Le spectateur devient conscient de l’existence de tout un système de signes, une sorte « d’écriture » que l’artiste a forgé à travers le temps, pas à pas, quelque chose qui équivaut à un alphabet qui peut contenir tout un monde.
Un tel mode d’aborder discrètement –conceptuellement du monde du visible -je dis « discrètement –conceptuellement» pour ne pas forcer l’interprétation qui pourrait faire une équivalence entre la démarche de l’artiste et une sorte de « nominalisme plastique » auquel cas les signes prendraient la place de l’image cognoscible, concrète - permet à Maria Constantin de nous mettre en contact avec la surface des choses présentées, mais aussi avec leur essence ,comme si « l’épiderme du réel » et les transes énergétiques-spirituelles qui le nourrissent en souterrain seraient devenus transparents les uns aux autres, par réciprocité.
Bucarest, début juillet 2013
Maria Constantin « au paysage » à Mykonos / Maria Constantin, Eforie , 1987
Moto:
En aquarelle j’ai eu un seul chemin : le contact direct avec la nature et avec le monde qui nous entoure. J’ai voulu écouter mon propre son, en évitant les modes changeantes, synthétisant, simplifiant, purifiant l’émotion, au-delà de l’observation de la réalité. En évitant, dans la mesure du possible, la facilite, j’ai toujours souhaité me faire comprendre, arriver au cœur de mes contemporains, dans un monde tourmenté, apporter un peu de paix et de bonheur, en gardant pour moi mes drames et mes cauchemars. (Maria Constantin)
A la fin du siècle dernier, pendant que j’essayais d’identifier des peintres nés avant 1930 – et Dieu merci ! – plusieurs d’entre eux étaient encore parmi nous, j’ai connu une dame, une artiste, d’une distinction, une modestie et une noblesse qui m’ont impressionnés du premier moment. C’était Maria Constantin.
Après lui avoir dit ce que je cherche et que j’ai l’intention d’organiser une exposition de groupe sous le titre de « Séniors de la peinture romaine contemporaine », la première question qu’elle m’a posée a été si je connais Medi Wechsler Dinu. Non, évidemment, je ne la connaissais pas. Et, au lieu de me parler d’elle, Madame Constantin a commencé à me raconter une histoire de vie si belle que, totalement séduite, j’ai suivis son fil et j’ai connu, peu de temps après, sa très bonne amie, une artiste exceptionnelle et presque totalement oubliée. Maria Constantin avait été, pendant les années de répression envers les juifs, dans une école pour enfants de cette ethnie, l’élève de Medi Wechsler. La différence d’âge de dix-huit ans n’avait pas empêché, bien au contraire, les deux dames d’entrelacer, dans le temps, leurs destins, dans une amitié à vie, une amitié, de celles qu’aujourd’hui on retrouve seulement dans les livres.
Leurs familles allaient traverser les années d’après-guerre, avec toutes les épreuves provoquées par le changement de régime, unies, dans le bonheur mais surtout dans le malheur. Pendant que le mari de Madame Wechsler Dinu était actif comme poète et publiciste dans les revues du nouveau régime (il s’agit de Stefan Roll, alias Gheorghe Dinu), l’époux de Maria Constantin, Paul Constantin, était un célèbre architecte et professeur d’histoire de l’art.
Les messieurs s’occupaient de leurs carrières, les dames peignaient et assuraient la survie. Les traumas des années ’40 étaient encore très présents. C’est peut-être pour cela que l’art a été pour elles un refuge, une oasis de tranquillité et de bonheur dans ces temps de transformation et de tourment.
La vie de Maria Constantin recevait un rayon de lumière, en 1954, avec la naissance de sa fille, Mihaela, qui allait suivre sa carrière artistique. Les deux familles voyageaient souvent ensemble.
Un peu plus tard, après la disparition de Stefan Roll, quand Medi Wechsler vivait sa douleur dans le refus de peindre – il s’agit de la fin de la décennie sept et toute la décennie huit du siècle passé- la famille Constantin allait ressusciter l’envie de peindre de leur amie, l’entrainant dans des voyages inoubliables dans le Delta du Danube, à Sulina et dans quelques villages de Transylvanie. La vocation d’aquarellistes des deux dames connaissait un moment de plénitude définitoire.
Arrêtes-toi, Marioara, ça fait longtemps que tu l’as finie !
Des mots que Maria Constantin m’a dits pendant notre première rencontre et qu’elle me répétait chaque fois qu’elle parlait de Medi Wechsler. Il s’agissait d’une aquarelle, réalisée en plein air de Maria, qui aurait encore rajouté un détail à son œuvre qui, du point de vue de son ancien professeur, Medi Wechsler, était terminée depuis longtemps.
C’est comme ça que je me suis rendue compte que cette relation maître-disciple n’a pas été strictement déterminée par les conjonctures, mais qu’elle a duré une vie entière.
Si je me laisse maintenant menée par la pensée de Maria Constantin, je pourrais avoir la tentation de continuer à parler de Medi Wechsler. Sauf que, cette fois, je vais faire un exercice d’insubordination. Je vais parler seulement de Maria Constantin. Parce que après de nombreuses années pendant lesquelles l’artiste s’est considérée la plus petite, la plus insignifiante de sa génération, le temps est venu que son art, et avec elle, le peintre elle-même reçoivent la reconnaissance amplement méritée.
Un certain temps après ma première visite chez Maria Constantin, j’ai rencontré Mihaela, nous nous sommes raconté des histoires, nous nous sommes réjouies, en dépit de notre appartenance à des générations si différentes, d’avoir une relation d’amitié et de communication au niveau des plus sensibles paliers, et ainsi, chaque fois que je passais le seuil de l’appartement de Calea Mosilor, je faisais une pirouette dans le temps, vers une époque où j’aurais aimé vivre, non pas parce que l’histoire a été plus permissive, mais parce que la qualité des gens était toute autre .
Je surprenais l’artiste devant son chevalet ou elle me montrait une œuvre à peine finie. Et à l’occasion d’une exposition de groupe je pouvais voir encore quelques aquarelles. Sur le tard je me suis rendu compte que je ne savais, en fait, rien de sa création. Car à cause d’une réelle modestie, non feinte, elle me montrait avec grande parcimonie quelque chose, me mettant des fois dans la situation de choisir un tableau pour quelque exposition en n’oubliant jamais de dire que j’ai un œil enviable. Mêmes dans ces occasions, c’était son interlocuteur qu’elle essayé de mettre en valeur, en se minimisant soi-même.
Il a fallu que l’inévitable se produise pour que je comprenne qui j’avais eu le privilège de connaître, qui m’avait honoré si humblement et discrètement avec une amitié pure.
- -Ah, moi je ne suis pas une grande artiste. Les grandes artistes sont Alma Redlinger, Yvonne Hasan, Eva Cerbu. Elles, oui. J’ai toujours eu à apprendre d’elles.
J’ai entendu ces mots aussi souvent que ceux invoqués plus haut et qui parlaient de Medi Wechsler pendant les campagnes de paysage. Je les ai entendus jusqu’à ce que Maria Constantin soit partie peindre les paysages du paradis. Je m’y été habituée comme on s’habitue à une rengaine. Et probablement ils ont travaillé en subconscient. J’étais habituée avec Maria Constantin qui racontait des jolies choses sur Mihaela, sur Medi, sur sa sœur, la poète Veronica Porumbacu, sur la famille, sur ses voyages en Grèce avec Paul Constantin, sur un monde que j’enviais sincèrement pour la résignation avec laquelle il savait accepter la disharmonie et la douleur. A un certain moment je ne conscientisais plus que c’était une artiste qui me parlait, une artiste que les derniers temps, ceux de la souffrance, avaient obligé de réduire son support de travail.
A chaque visite rue Calea Mosilor je recevais un petit collage d’éléments végétaux, subtile dans ses harmonies chromatiques et discret comme un chuchotement. C’étaient ses dernières œuvres.
Quand Mihaela Constantin est revenue au pays, après la disparition de sa mère, et m’a demandé de l’aider à inventorier les tableaux en vue de les exposer, j’ai eu la révélation, c’est le mot, que j’ai passé du temps, sans la connaître avec une grande artiste. Aussi grande que modeste.
Autant du point de vue qualitatif que quantitatif les œuvres qu’elle nous a laissé dévoilent une vocation artistique profonde, un talent remarquable et une sensibilité, doublée d’intelligence et de réelle culture.
Œuvre après œuvre, en regardant et feuilletant dans les cartons, à côté de Mihaela, je découvrais que Maria Constantin n’avait pas été en rien inférieure, mais seulement différente de ses collègues de l’Académie Libre de Peinture de M.H.Maxy.
Une voix singulière pour l’ époque d’irrépressible attrait vers les courants modernistes , une poétesse de l’image, un esprit classique, contemplatif, impossible à changer, Maria Constantin a suivi son chemin artistique sans heurts .Elle n’a pas fait de concession. Même si on a considéré que c’est le modernisme qui peut propulser un artiste dans la galerie des grandes valeurs, elle a préféré rester fidèle à elle-même. Elle a préféré dire qu’elle est une artiste moins importante. Et de partir consolée, peut-être, qu’elle a accompli sa destinée.
L’épreuve la plus difficile que j’ai passée devant les œuvres de Maria Constantin a été celle de la sélection. J’ai dû choisir des œuvres qui allaient être exposées ou données à des musées, des œuvres à reproduire d’ans l’album dédié à l’artiste. Que choisir d’abord ? Comment séparer le beau du beau, chef-d’œuvre de chef-d’œuvre ? Selon quel critère ? Evidemment, avec subjectivité. Parce qu’en toute période de son travail, le peintre a montré la pleine mesure de son talent et de la responsabilité envers le geste créateur.
J’ai voyagé en regardant ses œuvres, encore et encore, à travers les lieux qu’elle m’avait racontés tant de fois. Je pouvais, enfin, les voir ainsi que son cœur et sa conscience les avait filtrés.
En choisissant l’aquarelle comme technique de prédilection, Maria Constantin a réussi à métamorphoser l’instant éphémère, le moment de grâce qui passe, la lumière en changement continu, en image définitive, qu’il est impossible de changer
Exceptionnelle coloriste, avec un sens aigu du passage et de la dissolution, Maria Constantin a créé des œuvres revendiquées par les arts graphiques mais qui sont des peintures de plein droit, œuvres qui ont leur place sans aucun doute dans la galerie nationale d’art. Rarement tentée par le portrait, elle a réalisé quelques œuvres sur ce thème, d’une délicatesse exceptionnelle. Surtout des portraits d’enfants.
Elle est restée, jusqu’à la fin de sa vie, attirée par le paysage et la nature morte, surtout des fleurs. Mais dans ces œuvres aucun paysage n’est simple paysage et aucune nature morte n’est nature morte. Elles sont toutes des poèmes, expressions d’une profonde vitalité, des confessions. Ce sont en fait, des autoportraits d’une âme qui a eu la force de transformer les larmes en taches vives de couleur et la douleur de la vie en images donnant de l’espoir et véritable joie.
Maria Constantin compte, et cela doit être consigné, parmi les plus habiles illustrateurs de livres et surtout de livres pour enfants. Parce que le graphisme de livre même est aujourd’hui minimisé et placé dans la zone des genres mineurs, nous risquons d’oublier des artistes qui ont eu une contribution essentielle, dans les décennies six-huit du XXème siècle, à la communication à plusieurs paliers entre textes et image. Ce sont des livres qui nous ont rendu la vie plus belle et tant soit peu supportable par leur contenu d’idéation, mais aussi par les images complémentaires au texte littéraire. L’âme d’enfant, inaltéré, de Maria Constantin, sa candeur foncière, transparaissent du graphisme de livre aussi bien que des aquarelles qu’elle a signées au long du temps. A travers le graphisme de livre elle a gardé ininterrompu le contact avec la littérature, qu’elle avait courtisé dans sa jeunesse.
Il est peut-être le temps de faire le point sur un sujet qui me ronge depuis longtemps. Nous n’avons pas perdu tous les artistes qui, dans l’époque moderne et contemporaine, ont inscrit et vont inscrire des nouvelles pages d’histoire de l’art roumaine. Et pourtant nous ne faisons rien, flottant dans une indifférence suicidaire à leur encontre. Parce que j’ai eu le privilège de rencontrer chacun des peintres qui ont exposé en 2001 dans le cadre de l’exposition « Les séniors de la peinture roumaine contemporaine », je sais de bonne source qu’ils se sentaient déjà à ce moment marginalisés et exclus. Beaucoup nous ont quittés pendant les 12 ans qui sont passés, certains sont encore ici, parmi nous, en vivant leurs dernières années avec ce même sentiment, peut-être plus accentué maintenant, d’être isolé dans le cadre d’une corporation qui se trouve dans un évident processus de déprofessionnalisation et de boycottage de ses propres intérêts.
Nous avons un musée national d’art contemporain, connu par son absence, MNAC, une institution d’état où ces maîtres n’ont pas leur place. Nous avons un musée national d’art qui n’est pas intéressé par les donations, mais encore moins par les acquisitions. Nous n’avons pas assez de collectionneurs et trop peu de galeries sont intéressées par l’œuvre de ces artistes. Nous avons un public de moins en moins cultivé et intéressé par la beauté. Dans ces conditions, des œuvres de valeur disparaissent, parfois sans avoir été au moins inventoriées.
Je crois qu’il est temps d’arrêter ce monstrueux processus d’autodestruction. Nous sommes redevables non seulement envers la mémoire de ceux qui sont parti ou envers les dernières années de ceux qui restent, nous sommes redevables à nous-mêmes de faire un effort de récupération des vraies valeurs, des ceux qui représentent, finalement notre profile identitaire.
En choisissant l’aquarelle comme technique de prédilection, Maria Constantin a réussi à métamorphoser l’instant éphémère, le moment de grâce qui passe, la lumière en changement continu, en image définitive, qu’il est impossible de changer. - Luiza Barcan